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Dossier : Comment construire un atelier de sérigraphie ?

Procédé millénaire, la sérigraphie a été inventée en Chine entre le XIIIème et le Xème siècle avant notre ère. C’est une technique d’impression à l’encre qui vise à reporter un motif sur un support papier ou un tissu. De nos jours, cette technique reste très utilisée dans le secteur de l’impression, et grâce aux nombreuses avancées technologiques, elle peut s’employer sur une quantité de supports très variée : des panneaux signalétiques aux affiches de concerts, en passant par les vêtements ou les livres. Elle a aussi été mise en valeur par de grands noms de l’art tels qu’Andy Warhol et Henri Matisse.

Pour ce tuto, je me suis rendue chez Antoine Duthoit, créateur des Editions Mugwup* et sérigraphe depuis 20 ans. L’artiste va nous expliquer, dans ce dossier complet, comment il a construit son poste de travail de sérigraphie, et nous dévoilera ensuite les techniques et matériaux nécessaires pour réaliser votre première œuvre.

Matériel pour réaliser votre poste de travail:

– Des planches de médium
– Une plaque de verre 60x50cm
– Des tasseaux
– 4 roulettes de meuble en métal
– 2 petites grilles de ventilation
– Un chauffage électrique
– 5 néons UV black light + interrupteur ou deux lampes d’insolation
– 2 poignées
– 3 systèmes de fermeture à levier et leur crochet (1 pour la porte, 2 pour la table)
– 2 pinces-charnières spéciales sérigraphie
– 2 charnières de porte (pour la chambre noire)
– Une multiprise
– Des vis
– Une visseuse-perceuse (+forets à bois)
– Une scie circulaire ou sauteuse

En pratique :

Avant de nous lancer dans la construction, attardons-nous sur la théorie. Et oui, comment cela fonctionne, la sérigraphie?

C’est une technique d’impression à l’encre qui consiste à reporter sur un support papier ou textile un motif dont le négatif est fixé via un écran (matrice).

Cet écran est constitué d’un tissu de fibres synthétiques tendu sur un cadre.

Il est obstrué par un photopolymère (ou émulsion) qui permet la création d’une matrice après insolation (cuisson à la lumière UV) du dessin via un transparent – que l’on appelle également typon – plaqué sous l’émulsion.

Une fois l’écran insolé, le dessin apparaît en négatif sur la matrice, il est alors appliqué contre le support d’impression et l’encre est versée sur l’écran. L’impression est réalisée en faisant pénétrer l’encre à travers les parties non obturées de l’écran grâce à une racle. L’encre se dépose ainsi sur le support placé sous l’écran et l’image positive du dessin apparaît. Il faut un écran (matrice) par passage de couleur et les supports sont imprimés un à un, couleur par couleur.

Maintenant que nous avons les étapes en tête, regardons de plus près comment Antoine a construit son établi. Il s’agit d’une grosse caisse en médium, qui contient : une table d’impression, une insoleuse, une chambre noire et un petit espace de rangement à l’arrière pour stocker les encres, émulsion, racles…

Votre poste de travail doit être à votre hauteur, plus haut qu’une table classique, afin que vous puissiez travailler dans une position confortable, tout en ménageant vos bras et votre dos. Ici, la caisse complète mesure L80xl60xh90cm, roulettes comprises.

La chambre noire doit pouvoir contenir un petit chauffage et idéalement 3 cadres de sérigraphie, séparés les uns des autres par des tasseaux. Ces cadres ont généralement une taille de 50x40cm, mais existent aussi en formats plus petits. Prévoyez des espaces d’aération devant et derrière. 

Faites bien attention à ce qu’aucune lumière ne puisse filtrer, notamment à l’endroit où vous passerez le câble de votre chauffage, au niveau des aérations et de la porte. C’est dans la chambre noire que vous ferez sécher vos cadres, recouverts d’une émulsion photosensible. A l’arrière de votre chambre noire, vous pouvez, comme ici, créer un espace de stockage pour vos matières premières.

Au-dessus de la chambre noire se trouve l’insoleuse. Antoine a choisi d’utiliser 5 néons UV black light par-dessus lequel il a posé une plaque de verre. C’est sur cette plaque que vous placerez votre dessin et votre cadre lors de l’étape d’insolation. Il vous faudra donc laisser un espace suffisant au-dessus de votre plaque de verre pour les placer. Pensez à faire une petite encoche pour ouvrir facilement la planche du poste de travail et ainsi accéder à l’insoleuse.

Enfin, par-dessus l’insoleuse se situe la table d’impression, agrémentée de deux pinces-charnières. Ces pinces-charnières vous permettront de fixer solidement et efficacement votre cadre de sérigraphie.

Afin que votre équipement soit complet, pensez aussi à vous équiper d’un nettoyeur haute-pression et d’un espace protégé menant au tout à l’égout. Ils vous seront utiles pour la phase de révélation et pour dégraver vos cadres de sérigraphie une fois votre projet terminé.

Lancez-vous dans votre première œuvre :

Commençons par quelques termes techniques :

>Le motif ou visuel : Il doit être réalisé en positif et en noir opaque sur du papier transparent. Soit manuellement, avec de l’encre de chine ou des feutres peinture acrylique, soit à l’aide d’un logiciel informatique et d’une imprimante. Chaque couleur qui compose votre motif doit être réalisé sur un transparent bien distinct. Pour un motif en trois couleurs, il faut trois transparents (donc il faut trois matrices pour réaliser trois impressions successives).

>Le typon : On appelle Typon (ou transparent) la feuille transparente sur laquelle se trouve le visuel original. Il est préférable d’utiliser un film plutôt fin et très translucide (le papier calque légèrement opaque ne fonctionne pas très bien).

>L’écran : L’écran est composé d’un cadre en métal ou en bois, sur lequel est tendu un  tissu en fibre synthétique appelé soie ou maille. La taille de cette maille peut varier selon son application. En général, on utilise une maille large pour le textile et une maille plus fine pour le papier, par exemple : T50 pour le textile et T90 ou T120 pour le papier selon la finesse du visuel à imprimer.

>L’enduction : L’enduction est l’action d’enduire un cadre avec l’émulsion, le produit photosensible que l’on applique recto verso à l’aide d’une racle d’enduction en fine couche sur l’écran.

>L’insoleuse : C’est le caisson qui permet l’insolation du visuel sur le cadre, indispensable à la création de la matrice. En général il s’agit d’une simple vitre avec des lampes par-dessous mais le système peut varier. Le temps d’insolation oscille alors entre quelques secondes et plusieurs minutes. C’est le cœur technique de la sérigraphie. L’insolation fonctionnant à la lumière UV, il est donc possible d’insoler à la lumière du soleil et même de la lune. Il est important de déterminer de temps d’insolation nécessaire avant de vous lancer dans votre projet : une émulsion sous-cuite provoquera de nombreux défauts en laissant passer l’encre là où elle ne devrait pas filtrer. Sur-cuite, elle sera quasi impossible à dégraver et risque de rester imprimée de manière permanente sur votre cadre qui serait alors inutilisable.

>La racle : On utilise deux types de racles en sérigraphie : la racle d’enduction, pour préparer l’écran avant son insolation et la racle d’impression que l’on utilise pour imprimer. Cette dernière est constituée d’un caoutchouc plus ou moins dur qui permet de faire rentrer l’encre à travers la maille du cadre en fine couche. On utilise un caoutchouc plus dur pour le papier (par exemple 75 shores) et plus souple pour le textile (par exemple 65 shores).

>L’encre : L’encre est une encre à l’eau, non nocive pour la santé et biodégradable, dont le rejet au tout à l’égout est autorisé. Il est cependant toujours conseillé de bien se laver les mains après l’utilisation des encres.

>Le hors contact : Le hors contact est la distance qui sépare l’écran du support à imprimer, dans notre cas : une feuille de papier, il est de quelques millimètres. C’est la racle qui vient faire contact avec le support à imprimer grâce à l’élasticité de la maille. Pour une impression fine et précise, la maille doit se décoller de la feuille juste après le passage de la racle. L’action du hors contact prévient les risques de bavures de l’encre et conserve la finesse de trait du visuel, tout en évitant au papier de coller à l’écran.

>La surimpression : Lorsque deux couleurs imprimées se superposent, elles créent une nouvelle couleur sur le support, c’est la surimpression (par exemple, du jaune imprimé sur du bleu donne du vert).

>Le calage : C’est l’action de caler les différentes couleurs (donc matrices) au moment de l’impression à l’aide de « taquets » situés sur la table d’impression. Les matrices (cadres) sont imprimées les unes après les autres dans un ordre voulu : en général on imprime de la couleur la plus claire à la couleur la plus foncée mais certains motifs, en sens inverse, permettent la surimpression.

>Le dégravage : Lorsque les tirages sont terminés, il faut nettoyer la matrice à l’aide d’un produit appelé dégraveur et d’un jet d’eau puissant. Cette action permet d’enlever l’émulsion et de rendre vierge la maille de l’écran. Une fois séché, l’écran est à nouveau utilisable pour une nouvelle enduction et donc prêt à accueillir une nouvelle matrice de sérigraphie.

Pour réaliser votre première œuvre, il vous faudra :

– Un poste de travail complet de sérigraphie
– Un visuel à imprimer
– Autant de transparents que de couleurs à imprimer
– Des écrans de sérigraphie (à sélectionner en fonction de votre support à imprimer)
– De l’encre
– Une émulsion
– Un dégraveur
– Une racle d’enduction
– Une racle d’impression
– Du papier ou du tissu
– Un sèche-cheveux
– Un jet haute-pression
– Une spatule
– Une table pour le séchage

Etape 1 : LA PREPARATION

Commencez par sélectionner ou dessiner votre image à imprimer. Si vous partez d’une image comportant plusieurs couleurs, il vous faudra reproduire séparément chaque couleur sur un typon différent. Je vous conseille donc de commencer simple et de ne pas trop compliquer les choses pour le premier essai. Si vous n’avez pas de transparent, vous pouvez utiliser un film de fleuriste.

Préparez ensuite votre matrice : nettoyez votre écran, si besoin à l’aide d’un peu de produit vaisselle. Il doit être parfaitement propre et dégraissé. Séchez-le correctement en tapotant avec du papier absorbant.

Une fois que votre écran est totalement sec, remplissez votre racle d’émulsion de produit et déposez une fine couche d’émulsion de chaque côté. Evitez les bords et centrez au maximum pour faciliter l’insolation et le dégravage et surtout soyez rapide! L’émulsion étant photosensible, il est important qu’elle n’entre pas en contact avec la lumière du jour. Placez donc vite votre écran dans la chambre noire. Si vous y avez placé un chauffage, allumez-le et attendez une vingtaine de minutes. Si vous avez décidé de vous en passez, il faudra patienter une demi-journée environ.

Allumez votre insoleuse, débarrassez la vitre de toute poussière et posez votre typon dessus, dans le sens de la lecture. Vérifiez que les traits sont parfaitement dessinés. Repassez si besoin au feutre les petits défauts car la plus petite griffe ou trait imparfait se verra lors de l’impression. Éteignez votre insoleuse.

Placez le cadre à plat sur votre transparent. Rapidement, posez un papier noir sur votre émulsion pour concentrer la lumière et mettez un poids par-dessus afin de faire le vide entre la maille et le transparent. En effet, comme dans la photo argentique, si le typon ne colle pas parfaitement à l’émulsion, le motif sera flou.

Rallumez l’insoleuse et lancez un chronomètre pour contrôler le temps d’exposition. Ici, nous avons patienté 45 secondes.

Une fois le temps écoulé, éteignez l’insoleuse et passez à la révélation. Cette étape doit également être rapidement effectuée afin que la lumière du jour ne vienne pas perturber votre dessin. Très vite, sortez donc votre cadre et passez-le sous le jet haute-pression. Attention tout de même à ce que ce dernier ne soit pas trop puissant pour ne pas abimer l’émulsion.

Au passage de l’eau, l’émulsion non cuite s’enlève et l’émulsion cuite se fige et bouche la maille de l’écran. Le résultat est assez proche d’un pochoir et de ses zones évidées. 

Il faut bien sécher l’écran à l’aide d’essuie-tout pour éponger l’émulsion puis la figer avec un sèche-cheveux en la chauffant pendant plusieurs minutes. La couleur de l’émulsion se modifie en séchant.

Etape 2 – L’IMPRESSION

Une fois l’écran parfaitement sec, fixez-le à la table d’impression en utilisant les charnières. Vérifiez bien qu’il ne bouge pas et est solidement placé. Protégez les bords de votre cadre avec de gros morceaux de scotch pour éviter les bavures. Cette étape est encore plus importante à réaliser si vous avez placé plusieurs étapes de couleurs sur le même cadre. Dans ce cas, recouvrez le dessin à protéger avec une feuille de papier épais que vous sécuriserez là-aussi avec de l’adhésif.

Vérifiez ensuite le hors contact : votre écran ne doit toucher votre support qu’en exerçant une légère pression sur sa surface.

Effectuez ensuite le calage de votre support à imprimer sous la matrice. Soyez précis et rigoureux car plus vous avez de couleurs à imprimer, plus cet exercice est périlleux : il faut que vos motifs et couleurs s’imbriquent parfaitement.

Une fois que tout est en place, faites des repères à l’aide de petits bouts de papier adhésif appelés « taquets » : deux taquets pour créer un angle droit en bas à gauche ou à droite de la feuille (selon les préférences) et un taquet pour bloquer la ligne horizontale en bas de la feuille. Les feuilles viendront se « taquer » l’une après l’autre et le visuel sera toujours imprimé au même endroit sur le support.

Place à la partie la plus fun
et tant attendue : l’encrage!

Mettez une feuille de brouillon sous le cadre. Placez la racle d’impression sur le haut du cadre, au plus près des charnières. Déposez l’encre à l’aide d’une spatule devant la racle puis tirez la racle vers vous en lui donnant un angle compris entre 45° et 80°, le geste doit être régulier et la force appliquée constante du haut en bas. Ne butez pas sur le bord du cadre au risque de salir votre zone d’impression. Tout de suite, relevez légèrement le cadre, repoussez l’encre vers le haut. 

Maintenant que votre écran est enduit une première fois d’encre, retirez votre brouillon et placez votre papier sous l’écran en le calant correctement à l’aide de vos taquets. Raclez en ramenant la peinture vers vous, soulevez l’écran, repoussez l’encre vers le haut, retirez votre feuille, mettez-la à sécher, avant de placer une nouvelle feuille et recommencez le tirage jusqu’à épuisement de vos feuilles. Procédez ainsi pour toutes vos couleurs, avec vos différents cadres.

Une fois chaque cadre terminé, nettoyez-le consciencieusement avant que la peinture ne sèche dans les mailles. Enduisez-le d’un produit dégraveur à l’aide d’un pinceau puis passez le jet haute-pression sur toute la surface. Séchez puis rangez dans votre établi ou lancez-vous vite dans un nouveau projet de sérigraphie!

*Retrouvez les éditions Mugwup :

Antoine Duthoit – https://mugwup.com/ – Réseaux sociaux : @AntoineDuthoit 

Contact mail : lechatmouche@gmail.com

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